… Aime laisser couler une larme iodée… Alexandre Couillon, La Marine, immersion
Arrivée un jeudi soir de fin août, en milieu de soirée. Je découvre mon logement où m’attend ce célèbre petit bol breton aux oreilles bleus. Sauf que celui-là, il porte mon nom. Attendue. Bienvenue…
Poser la valise, sortir l’appareil photo de son sac et filer illico en cuisine se poster dans un coin pour immortaliser mes premiers moments là… Au coin du passe… Un passe long de 4 mètres, car sur une partie, Alexandre dresse les assiettes de La Marine tandis qu’il supervise le travail de Lucie qui met grand soin à préparer, sur l’autre partie, les bons petits plats de la Table d’Elise (1).
Alors que je suis occupée à regarder et comprendre comment se déroule le service, je prends conscience du calme………….. Donc là, concrètement, je suis dans une grande cuisine, qui dessert 2 restaurants et il y règne un calme olympien… Certes, le silence de l’extrême concentration de tous est rompu par les bruits de casseroles. Certes des claquements de main appelant le service, se font entendre… Et oui, un rire éclate de-ci de-là mais l’atmosphère qui règne ici n’a rien à voir avec ce que j’ai pu vivre dans d’autres maisons.
A partir de ce moment-là, et durant les 10 jours, j’ai passé mon temps à me dire « Mince alors, ils ne sont vraiment pas banal ! »… Exceptionnels. Dans leur relation de couple. Dans leur rôle de parents. Dans leurs valeurs. Dans la formation et la confiance qu’ils donnent aux jeunes qui les accompagnent. Dans leur humilité – j’aurais dû compter le nombre de fois où j’ai entendu « Nous ne sommes qu’un petit restaurant de bord de mer… »… Mais ce qui m’a le plus marquée, c’est leur intelligence irréfléchie. Ca vous parait antinomique ? Loin de là. Il y a des gens intelligents, mais qui prennent des heures de cogitation et de réflexion avant de prendre une décision qui démontre cette intelligence. Chez Céline et Alexandre, point de temps. Il faut aller vite. Alors ils font comme ils le sentent, instinctivement. Et leurs choix font mouche à chaque fois. Parce qu’ils réfléchissent vite et bien, utilisant 100% de leur bons sens combinés et ce sans vraiment y penser.
Cette intelligence irréfléchie est aussi lisible dans la cuisine d’Alexandre… En effet, si on réfléchissait trop, se permettrait-on de combiner le maïs en 3 textures à de la lotte en y injectant des myrtilles confites au vinaigre ? Pas sûr… Mais Alex, il a l’intelligence de songer à cet accord sans réfléchir plus loin que le souvenir des épis de maïs grillé qu’il croquait, gamin ; souvenir du passé associé au présent qui lui apporte la lotte fraîche à la Criée de Noirmoutier.
Et que dire de cette langoustine moelleuse et rosée couchée sur son lit de petits pois, framboise et coriandre ?… Ou encore du canard de Challans qui fricote avec des petits concombres snackés ?…
Puis vient ce moment…
Je suis au studio (nous nommerons ainsi la salle attenante à la cuisine, ou trônent une table ronde et la bibliothèque à souvenirs). Alexandre dresse sous l’oeil de mon appareil photo l’un de ses derniers desserts. Le Foin… En saupoudrant de sable noir et brun… En déposant délicatement les brindilles et les fleurs… En façonnant avec dextérité une adorable quenelle de crème glacée, il me raconte d’une voix calme et posée… « Un matin, je remontais la route de l’Herbaudière en voiture. D’un seul coup, je me trouve face à un parfait alignement de ballots de paille baignés de la lumière du soleil tamisé par la brume matinale – Peau de lait déshydratée et alignée dans une séduisante verticalité -… Je me suis arrêté. J’ai photographié… Et j’ai pensé à ce dessert… J’ai aussi pensé à mes souvenirs de môme et aux étés passés à la ferme… Odeur de foin frais. Odeur de foin séché – Crème glacée au foin torréfié – … Et surtout le bruit du foin sec qui croustille sous les pieds. C’est ce bruit que j’ai voulu faire savourer – brindilles de kadaif séchées et cacaotées… Par la suite, j’ai eu envie d’apporter des notes lactées pour le bien-être. »…………. Est-ce utile que je vous décrive comment je me sens à ce moment-là………. Pas de mot…….
Puis Alex s’éclipse pour retrouver son équipe… Je reste seule face à ses souvenirs, à ses émotions. Et face aux miennes aussi… L’objectif de photographier cet ensemble qui fond trop vite, m’oblige à revenir à la réalité. Clip clap… Trouver la lumière. L’attraper pour écrire….
… Et enfin, découvrir le fruit du travail en glissant une petite cuillère dans le dessert expliqué…
L’assiette terminée et les photos regardées, je me suis glissée le long du passe pour filer jusqu’à la plonge déposer l’assiette salie mais immaculée… Discrètement, sans me faire remarquer. Parce que je ne veux pas sortir de la bulle d’émotions dans laquelle il vient de m’enfermer… Toujours plus discrètement, aller respirer l’air boisé de la Table d’Elise encore vide… Et laisser couler une larme iodée.
(1) Pour mémoire, Alexandre et Céline sont propriétaires et exploitants de 2 restaurants : la Table d’Elise (cuisine bistrot ; traditionnelle ; familiale… Avec une pointe d’Alex’touch tout de même!) et La Marine (restaurant gastronomique arborant fièrement son étoile depuis 2007… Me demande ce que fiche les inspecteurs parce que la deuxième devrait être tombée depuis longtemps!… Bref.
Toutes les belles photos de ces 10 jours à la Marine sur facebook
Tit'
4 septembre 2012 @ 10:53 pm
La deuxième. Comme tu dis : « Bref. » Oui, elle devrait être là. J’ignore encore quand je pourrais retourner à Noirmoutier, mais, une chose est sûre, lorsque je reviendrai, elle sera là. Vivement l’été 2013 et le pied-à-terre noirmoutrin !
Magnifique récit, magnifiques photos. Il a trouvé sa plume, Alex, je crois. ^^