…Aime trouver son port d’attache culinaire – Alexandre Couillon, La Marine… jusqu’aux larmes
C’est seulement en arrivant sur les petites routes du marais vendéen que j’ai réalisé ce que j’étais en train de faire. Je n’en avais pas conscience en quittant Paris… Passé Nantes, apparaissent ces noms si familiers. Saint-Philbert de Grand-Lieu. La Grande Métairie. Bouin. Bois-de-Cené… J’étais en train de suivre une route en direction de mon enfance…
Passage du Goix. Mon coeur lâche. Il faut que je m’arrête et que je respire. Le vent salé. La mer iodée. Les algues encore mouillées de l’océan à peine retiré. Le temps suspend son vol… Je suis sur les terres salines qui m’ont fait tant aimer la cuisine de Dacosta dès le premier jour…
Mais ce n’est pas à Dénia que je vais, c’est à Noirmoutier chez Alexandre Couillon qui y a jeté l’ancre sur le port de l’Herbaudière, face à la criée.
22 mai 2011. Restaurant la Marine… Rapidement dessiner la toile… Une salle habilement inspirée par la féérie du magicien d’Oz et l’extrême élégance des meilleurs designers. Tout est pensé avec discrétion. Tout est imaginé avec douceur. Une décoration en noir et blanc où la chaleur est amenée par les matières, et les bleus du ciel et de la terre qui traversent les voilages en même temps que la brise marine. Bien instantanément.
Pomme de terre, celle d’ici
En mousseline vaporeuse servie dans un adorable coquetier
En chips … je n’avais jamais mangé de chips avant…
Et dans une crème glacée servie en cône croustillant et judicieusement sucré.
Premier contact avec la cuisine d’Alexandre. Premières émotions d’enfant.
Ce baby cône 100% maison serti de cette perle de gourmandise inattendue est incroyablement soyeux et régressif. Je suis épinglée par le plaisir et la surprise. Surprise par ce plaisir extrême et surprise de tomber dans le vif de l’émotion dès le premier amuse-bouche de la Marine… Maintenant, je sais que « je vais m’en prendre plein le coeur! ».
… et avant même d’avoir profité de l’accord parfait entre cette trilogie et le Champagne Tarlant qui l’accompagne…
Sardine de Saint-Gilles, goutte d’artichaut grillé, virgule de citron cédrat
Silence imposé par les yeux. Goutte d’artichaut grillé sur feuille d’artichaut porcelaine.
Puis par la dégustation… Je serai, à jamais, subjuguée par la capacité de certains Grands Chefs à enfermer autant de gastronomie et de précision dans un centimètre cube de cuisine.
Pain frit, anchois frais et limquat
Mmmmmh que je vais aimer laisser Alexandre jouer avec mes émotions…
« Algue frite »
Passer, le temps d’une bouchée, du plaisir presque basique du gâteau apéritif, salé et croustillant, à celui, plus subtil, de l’algue dont le parfum vient se faufiler après… quand l’effet « chips apéro » a disparu… l’algue s’impose mais en douceur… puis s’apaise… puis revient quand le pétillant du champagne glisse sur la langue… Que je suis bien…
Tartelette à l’avocat en pesto et daurade royale
Alain, sors de la cuisine d’Alexandre! … Oui, c’est bien à ce Alain que je pense. Et à une cuisine qui porte les goûts à bout de bras, tel un trophée qu’on vous offre. Avec douceur… Et perfection… Quand je pense que nous n’en sommes qu’aux amuse-bouche…
Yaourt au parmesan, jaune d’oeuf confit et poutargue « zestée » – régression
Crevette en bouillon carotte et estragon, radis chinois – puissance
Maquereau en dashi maison, concombre et granité orange – fraîcheur et justesse
Trois petites choses. Trois grands voyages…
Revenir au port… et immédiatement repartir.
Suivant la marée… Asperges vertes, bouillon d’oignon rouge et framboise
La marée nous a apporté des coques, des couteaux et des palourdes. Se sont incrustés l’estragon et les agrumes. Sublime. C’est sublime. Des jets d’émotions s’emmêlent à l’image des saveurs. C’est retrouver l’accord encore original et tellement merveilleux entre les produits de la mer et les fruits rouges – rencontré il y a un an chez … Dacosta. C’est retrouver les plats de nos grands mères qui parfumaient aux oignons et à l’estragon les confits d’antan. C’est croquer une framboise pulpeuse sur le bord d’un chemin… C’est frais. C’est simple. C’est complet. Comme mon plaisir.
Supion de la criée de l’Herbaudière, huile à l’eucalyptus, citron et fleur de persil
C’est là que vient la première estocade. Un visuel d’une sobriété fascinante. Le supion parait presque nu, comme posé sur une plage. Juste couvert d’une fleur amenée là par le vent. A côté, une petite flaque de pâte de citron et une feuille d’eucalyptus. Les parfums qui accompagnent cette image sont envoûtants. Et légers. Infusion citronnée taquinée par la caramélisation du supion. Je ferme les yeux et inspire… Même si je m’arrêtais là, ce plat m’aurait offert un lot d’émotions qui le rendrait incontournable… Mais je ne m’arrête pas là… Le supion, d’une tendresse indécente se laisse manger sans résister. La pâte de citron est un enchantement comme les arômes d’eucalyptus et de persil qui virevoltent autour. Je suis face à un plat qui montre combien l’intelligence d’un Chef peut venir de l’extrême « simplicité » dans la façon de traiter son produit… C’est même le mot pudeur qui me vient à l’esprit… Première grosse vague d’émotions. Deuxième accord parfait avec un « Terres salées 2009 ».
La lotte… Rôtie… Petits pois et poivron rouge… Pomme et groseille
De nouveau, un ensemble aux couleurs chatoyantes. Souriantes. L’expérience de tableaux si colorés en contraste avec une décoration toute de noir et de blanc est extrêmement agréable. De nouveau, mesurer la fine intelligence de la maison… Mesurer aussi à quel point Alexandre est doué. La cuisson de la lotte est parfaite. Pas trop cuite dehors et juste rosée dedans, non, ici, la lotte est cuite mais moelleuse de part en part. Elle vous offre le plaisir de bout en bout et sans écart. A ses côtés, chaque élément est préparé et savoureux. Un condiment poivron très gourmand. Des petites colonnes de pomme, confites à la groseille. Une purée de petits pois très gourmande. Et quand vous combinez chacun de ces petits bonheurs, ils se subliment et vous font taire. Parce que le bonheur, ici, ça ne se discute pas!
Rouget grillé… Poireaux et bigorneaux… Pistache et ortie.
Et des feuilles de capucine pour poivrer.
Là encore, un poisson d’une qualité exceptionnelle dans le produit et dans sa cuisson. Ici aussi se dire que le poisson à lui seul est Grand. Mais le jeune poireau en beignet aux éclats de pistache nous offrira la gourmandise et le plaisir de manger avec les doigts, tandis que les bigorneaux me prennent par les souvenirs pour me ramener aux apéritifs pris sous les tilleuls de la maison de famille… Tout est Grand. Tout est divin. Tout, y compris le morceaux de pain maison, parfumé aux algues qui s’imbibera de la sauce aux orties jusqu’à la dernière trace.
Le homard, grillé… Chou-fleur fumé aux aiguilles de pin, betterave & mûre… Crème fraîche.
Retenir ses larmes… C’est Tout. L’immense. Le Grand Tout qui vous mouille les yeux… C’est le feu de cheminée où je glissais, il y a longtemps, les pommes et les aiguillettes de pin… C’est le goût et la texture du homard cardinal… C’est la giclée d’acide-sucré qui vous accroche le palais quand vient éclater la mûre que je ramassais sur les bords des chemins vendéens… C’est chaud et froid… C’est la crème posée-là sans qu’elle n’ait besoin d’une once d’assaisonnement pour imposer le bonheur… C’est ce sable noir que je mangerai jusqu’au dernier grain du bout du doigt… C’est une bouffée d’émotions qui m’envahit et je suis sauvée par les deux globe-croqueuses qui m’accompagnent et me permettent de rester en surface… Je viens de manger l’un des plus beaux plats de ma vie… Et à l’écrire, les larmes s’immiscent…
Canard challandais… Coffre rôti… Carottes blanches et melon… Epinard de mer et sureau…
Estocade finale… Le coup de grâce… La brise a déposé sur l’assiette des petites fleurs. Comme des perles enfilées sur le fil des arômes du canard… Se taire. Respirer… Regarder les bateaux à travers le voile et laisser les émotions se graver à jamais… Cette fois, il en est fini de ma résistance. Je largue les amarres et me noie… Les trois que nous sommes. Adèle, Olivia et moi. Emmenées par le même raz de marée. La poésie des carottes blanches s’écrit en petites rimes avec l’aigre-doux du melon et l’amertume d’une pâte à l’orange bigarade. Des bouillées de sureau cueilli dans le jardin d’à côté nous fleurissent le coeur… Impossible d’écrire plus… Les émotions que nous vivons maintenant sont de l’ordre de l’intime.
Fromages d’ici et d’ailleurs. Par M. Beillevaire…
Refaire surface… Et ce fut plutôt facile à la vue de ce machecoulais se laissant totalement aller en sussurant « Mangez-moi! ». Plateau de fromages de M. Beillevaire. Amusant de retrouver les merveilleux produits de cet adorable monsieur d’ici… Je ferai une sélection locavore. Fleur des marais, machecoulais, sauvageon et venise verte. Soyons fou. Quatre fromages pour accompagner les 4 pains maisons proposés (nature, céréales, algues et citron-olive noire)… Moi qui avais dit que je ne mangerais pas de pain… Ni de beurre… Beurre de M. Beillevaire. A la fleur de sel… Et un aux algues également… Incroyablement indécent. Mais tellement bon…
La cerise… En pot-au-feu à d’orange et crème cuite à la vanille… Estragon et chocolat
La situation est sous-contrôle. Le tsunamie est passé. Mais la gourmandise est là encore. Dans le moelleux et le fruité. Dans un quatuor de saveurs interpreté sans fausse note.
La fraise…confite et crue… Sable de chocolat, herbes et fleurs… Crème glacée à la verveine
Des fraises qui ont du goût. Des fraises qui sont bonnes. Des fraises qui me prennent par la main et m’amènent à la cueillette à la fraiseraie de mon enfance… Tout est doux et dosé comme il faut… Merveilleuse petite marche en campagne pour finir un merveilleux repas…
Mais le plaisir n’est pas fini… Alors que nous commençons à reprendre pied, une farandole de mignardises se danse sur la table.
Sorbet Ricklesssss…. Freshhhhh….
Macaron cacahuète (à se damner)
Tuile au poivre de sichuan
Guimauve pamplemousse et thé vert
Pâte de fruit betterave et anis
Meringue aux algues (Boucle bouclée…)
Tartelette chocolat
Et une verrine carotte, orange et cardamome
Lettre ouverte à Alexandre…
Alexandre. Je me suis retenue pour ne pas étaler des kilomètres d’émotions sur la toile de mon blog. Et puis, il y a un moment où les mots sont ne suffisent plus… Ton état d’insulaire te garde loin des courants d’influence et t’a permis de te construire porté par les vents et par tes envies… D’ailleurs, non, ce n’est pas l’insularité, c’est plutôt ta grande intelligence. Du bout de la Vendée, tu as su apprendre et prendre avec recul. Et humilité. Tu regardes le monde culinaire à travers la brume qui plane sur les étiers, et sais capter le bon venu d’ailleurs pour le mêler au très bon de ton terroir et de ton histoire. Tu es un Grand parmi les Grands. Et je me laisse aller à écouter les bruits de casserole qui parlent d’un nouveau Bras… Moi, je me contenterai de dire qu’il n’y a qu’une seule table qui a su me tenir comme ça, perchée aux sommets d’émotions, dès la première bouchée jusqu’à la dernière miette de mignardise. Elle est espagnole, tu vois de qui je parle ? 😉 … Intelligence. Humilité. Et douceur. Une douceur dans tout. Dans le sable fin et la brise marine. Dans l’atmosphère de ta table. Dans ta cuisine. Au coin du fourneau et dans tes mots. Dans ton ensemble. Un ensemble que tu as construit avec Céline, parce que, aux côtés de beaucoup de Grands, il y a une Reine… Le petit moment passé avec vous deux a été, lui aussi, merveilleux. Il a porté le point d’orgue à ma conviction que votre maison est un havre de paix et de gourmandise où tout est pensé, cogité, calculé dans un seul but, nous emmener en voyage… Merci à vous deux… Très vite revenir.
Et un merci tout spécial à Emmanuel qui raconte les vins et les accords avec délice…
La Marine
Port de l’herbaudière – 5 Rue Marie Lemonnier – Noirmoutier
http://restaurantlamarine.blogspot.com/
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Photos de ma première rencontre avec la cuisine d’Alexandre, 100% Fish – Paris
Toutes les photos de la Marine
Laurent
27 mai 2011 @ 11:23 am
Je ne laisse pas de commentaire à chaque nouveau post, mais c’est toujours un plaisir de venir voir tes belles photos, d’autant que les commentaires ne sont pas en reste.
A bientôt 🙂
walter
28 mai 2011 @ 3:07 am
Epoustouflant…et ces mots…quand la cuisine touche le coeur… c’est pour ça qu’on aime la faire… donner des vagues de bonheur…
Tit'
7 juin 2011 @ 11:55 pm
Je ne me lasse pas de lire ce billet. C’est amusant ce style. « Amusant », j’entends que je comprends bien ce qui te vous rapproche la Turtle et toi. Un même plaisir des mots sur des mets, des mots sur des moments. Je file début juillet à Noirmoutier. Autant dire que je prends RDV avec Alexandre Couillon. Le contact est établi… il n’y a plus qu’à.
Stéphanie
8 juin 2011 @ 8:42 am
Merci ! Sûr que la Turtle et me, on s’est trouvé 😉
Tu feras une méga bise à Alexandre et Céline.
Et obligation de raconter après… Read you… Stef