… Aime avoir le souffle coupé par un soleil couchant et un astre croissant… Alexandre Couillon, La Marine
Quand j’ai traversé le Gois pour la première fois afin de m’immerger dans le monde insulaire d’Alexandre et Céline, ce sont les souvenirs d’enfance qui m’ont attrapé le coeur pour le serrer très fort…
Puis est venue la dégustation d’un menu sublime, qui a démontré sans détour la qualité de la cuisine d’Alexandre, son intelligence, sa finesse. Sa capacité à regarder le monde de loin, à travers le prisme de son terroir et de ses origines…
Enfin, nous avons terminé cette rencontre par un long moment d’échange qui a confirmé les impressions laissées par les assiettes. Intelligence et inspiration. Il me tardait de revenir.
8 mois se sont écoulés et c’est par le grand pont que je rejoins l’ile. Temps de breton envahissant notre Vendée. Vite, rejoindre la salle de la Marine et son ambiance décalée entre musée du design et pays du magicien d’Oz. Vite entamer les premières bouchées de mon deuxième repas ici, posée entre ma terre, cette Vendée, et l’Atlantique aux embruns iodés qui ont parfumé mes premières respirations d’enfance.
Quel bonheur de commencer un repas par une première bouchée délicieuse.
Tercet délicat inspiré par la pomme de terre de Noirmoutier. Or des terres salines de l’ile.
Mousseline légère dans un adorable coquetier
Chips (une vraie!)
Crème glacée dans un cône croustillant.
Marcher sur la plage. Ramasser des galets rendus glissants par une fine couche d’algues verte. Trouver une huître perdue… dans une fine perle de mousse… Goût et promenade.
Duo de tartelettes-bijoux végétales
Rhubarbe et avocat, où l’acidité du guacamole, habituellement apportée par le citron, est ici amenée par une rhubarbe qui « fruite » cette version bien pensée de la traditionnelle purée verte.
Navet et noix de coco… Mémoriser ce duo… Pensée pour M. Passard… Et pensée pour Isabelle car me vient à l’esprit la parfaite définition de ce qui se passe sur mon palais à cet instant. Expliquer la complémentarité inattendue du navet, frais et amer, et de la coco, grasse et douce, par une image photographique : le navet est le négatif gustatif de la noix de coco!
Racine de chervis en tempura, citron vert, rapée de corail séché
Entre pomme de terre et salsifis, ce légume racine inconnu me sort le grand jeu de la séduction… Je roule mon beignet dans la chapelure de corail à la force inouïe… Je finirai cette chapelure du bout du doigt.
Oursin, en une crème prise impeccablement « presque pas prise », écume réglisse et poudre de yuzu… Les aromes réglisse restent discrets et humbles devant ceux de l’oursin. Mais quand les bulles les taquinent, ils s’émancipent et se révèlent… Perfect champaign pairing. Sensation. Deep in émotion.
Truffe de maquereau et café, pointe de sel
Le maquereau, poisson au goût fort et imposant, trouve dans la saveur torréfiée du café, une compagne idéale. Pas une femme-potiche. Pas une « sois-belle-et-tais-toi ». Plutôt une de ses femmes bras droit qui accompagnent souvent les Grands Hommes… Céline. Alexandre… Duo d’exception. Truffe précieuse.
Trois petits pots et puis s’en vont… Mais non je ne partirai pas car ce n’est que le début… Je réalise que je n’ai fait que savourer les amuse-bouche et je suis déjà totalement enfoncée dans un grand moment de gourmandise.
Asperge verte en crème liée à l’oeuf mollet… Et dessous comme un taboulé de ziste de citron au persil
Crevette, vinaigrette à la carotte crème émulsionnée à l’estragon… Un bonbon de mer!
Maquereau cuit au sel, caviar d’aubergine, bouillon de coing… Accord mer-fruit. Doux
Petits pois, laurier et caviar végétal
Comme chez Dacosta, jaillit sur moi cet effet « ratatouille » du petit pois… Alexandre me dira « ce ne sont que des petits pois »… Moi je dis merci Alexandre car tu m’offres une escapade vers des souvenirs délicieux.
Et je pense, là maintenant, que, comme lors de ma première fois, je ne peux empêcher mon esprit de rapprocher le style Couillon à celui de Quique…
… Et là le temps s’arrête… Les derniers nuages glissent sur l’horizon… Je ne respire plus. Souffle coupé par un visuel d’une beauté ensorcelante… Le nacre de la perle a quitté cette perle pour venir enrober l’huître devenue brillante, argentée, marbrée d’un noir métallique et sensuel… La coquille a fondu pour déposer ses teintes de gris sur la chair grasse et charnue… La Belle est posée à l’épicentre d’un jeu d’ondes marines… Non, je ne respire plus. Je regarde et m’évade.
Alexandre, je sais qu’il n’est pas forcément agréable d’être comparé à d’autres. Mais je pense aussi que tu ne seras pas fâché contre moi si je te dis que cette assiette aurait superbement sa place dans ce « petit » restaurant du bord de mer de Dénia. Elle est un bijou d’une beauté rare. Elle est le fruit d’une réflexion intense et d’une mise en oeuvre précise et parfaite. Mais qui est-elle.
Huitre en bouillon de lard et encornet. Tuile cristal de nacre. Et micro croustillant sucré comme du sucre grains (gingembre confit). Quelques perles du japon citronnées. Et les « flaques cireuses » du lard qui « graissent » le tout pour un maximum de gourmandise et de longueur en bouche… Mon admiration est totale. Mon adhésion aussi.
Noix de Saint-Jacques, et son dessert : mousseline de panais, myrtilles et coulis de myrtille, pastilles de poire fraiche, beurre monté aux oeufs de truite bio, et cardamine. Oui c’est un dessert. Une diversion sucrée. Une liberté d’expression. Le sentiment qu’un palais d’enfant traine ses influences en cuisine. Gourmand. Délicieux.
Asperge du Pertuis cuite entière, vinaigrette framboise et huile à la menthe maison, croustillant menthe et framboises fraiches, oignons nouveaux confits… De la queue à la tête. De l’amer à la douceur. De la fibre à la tendreté. Là aussi une impression de dessert. Sans aucune note abusive de sucre, la combinaison de la framboise et de la menthe vous impose une fraîcheur fruitée et acidulée plus habituelle dans un sorbet qu’en assaisonnement d’une asperge… A ce moment, le soleil apparait. Le printemps dans le ciel et dans ma première asperge de la saison. Si je devais n’en manger qu’une seule, que ce soit celle-là.
Lotte nacrée …/…
…/… billes de concombre, crème (Beillevaire) à l’aneth. Sublime. Aussi léger que crémeux (si si, c’est possible!) et savoureux. Le ciel est bleu. Le concombre et l’aneth brillent de leurs verts intenses. Le Sancerre éclaire de ses notes minérales et citronnées. Un moment de gastronomie plein de lumière.
Betterave cuite en croute de sel, copeaux de betterave crue, mûres et dôme de chou-fleur lissé, fumé aux aiguilles de pin… Je pense aux Bras. A Michel, à qui est comparé Alexandre dans certains cercles de gourmets… Et à Sébastien qui a dû, lui aussi, fouler la terre (parfum de la betterave) des chemins de son Aubrac pour cueillir les mûres sauvages et précieuses avant d’en savourer la confiture dans une cuisine baignée des aromes fumés du foyer… Michel Bras. Alexandre Couillon. Et un ami commun à qui je dédicace ces émotions.
Canard de Challans, scorcenère rôti et pané, kumquat et graines de goji dans une sauce crémeuse à l’avoine.
Composition tout en goût et en équilibre qui vient à point mettre l’accent sur la dualité du Chef. Les deux pieds enfoncés dans le sable mouillé de sa terre. Et le regard fouillant le lointain pour en rapporter des saveurs pleines de soleil et d’inédit.
Crémeux chocolat, meringue aux algues et glace à l’eucalyptus.
Souvenir de ma première rencontre avec le style Alexandre lors d’un dîner 100% fish.
Déjà, ce drôle de dessert aux algues m’avait interpellée. Là, il m’achève. Alexandre a continué sa route, affiné les goûts, perfectionné les textures. Il est un Chef en mouvement permanent qu’il va falloir suivre de très près.
Crème glacée aux champignons, microplanée de biscuit à la réglisse et pistache, atsina, voiles croustillantes aux champignons… Crème glacée champignon? Il cherche quoi là? La provocation? Pas du tout. Il injecte, encore une fois et en toute simplicité son intelligence dans la volonté de nous faire un gros câlin aux papilles! Il utilise les notes pralinées du champignon pour construire un dessert marquant et délicieux. Doux. Bien pensé. Un dessert surfant sur une vague d’impertinence pour finir, tout en douceur, sur une plage de sable fin et frais, balayé par le vent.
Crémeux citron, glace à l’huile de noix
Je ne peux plus rien dire. Les services s’enchainent et chaque assiette apporte son estocade. Aucune ne me laisse redescendre. Rien n’est un peu moins que le reste ni plus que le suivant. Les arômes s’imposent et vous caressent tandis que les saveurs s’équilibrent. Ca ressemble à un petit coin de paradis palatin.
Enfance du Chef
Tarte à la vergeoise
Ruban de guimauve au réglisse
Pâte de betterave aux graines de cumin
Meringue au laurier et à l’orange
Stick caramel au poivre de sichuan
Mélange des origines.
Epices d’ailleurs.
Parce que le chemin du Jeune Alexandre n’est pas linéaire.
Parce que les destinations lointaines ont marqué son enfance.
Parce qu’il nous offre un peu de lui dans ces mignardises.
Sorbet rickless
Verrine carotte cardamome orange
Freshhhh…
Lettre ouverte à Alexandre… Pour la deuxième fois…
Alexandre, je ne vais pas faire long… Oui, je te compare sans hésitation aucune. A Dacosta. A Bras ou à Passard. Tu es, sans discussion possible, de ce niveau-là…
En Juin dernier, tu as accroché toute mon attention par ton intelligence qui transpire de tes mots et de tes assiettes.
Aujourd’hui, ce deuxième passage confirme ce ressenti. Tu avances sereinement et avec une maturité rare. Remarquablement entouré, tu as la tête bien faite et bien posée sur un corps, debout, qui regarde la mer. Tu avances en tournant le dos au continent, comme un enfant espiègle testant les limites de sa liberté, mais sans oublier, de temps en temps, de se retourner pour voir si le continent est toujours là, sécurisant et aimant.
Et comme pour marquer définitivement cette seconde visite, du sceau de l’exception, je retrouverais le continent après une traversée du Gois à la conjoncture de deux moments rares. Tandis que le soleil se couche sur l’ile, la mer se retire et je vivrais cette impression sublime à vous rendre fou, cette impression de rouler sur l’eau.
La Marine – Alexandre Couillon
restaurantlamarine.blogspot.com
Port de l’Herbaudière, Noirmoutier
Toutes les photos de ce souffle coupé sur facebook
Tit'
10 mars 2012 @ 2:36 am
Je veux y revenir !!!
Stéphanie
10 mars 2012 @ 10:53 am
Moi aussi…