… Aime se fermer au monde pour s’ouvrir au sien – La Grenouillère, par Alexandre Gauthier
Il avoue. Alors que je lui demande quel est son secret pour atteindre une telle singularité dans ses assiettes comme dans son univers culinaire. Il avoue. Il s’est résolu à se fermer au monde. Déjà géographiquement isolé, il a profité de cet isolement pour se couper de ce qui se passe autour de lui, pour ne pas trop regarder ailleurs… Ne cherchez pas cet Alexandre Gauthier là sur Facebook, vous ne le trouverez pas… Il est vrai que ce que nous montre la fenêtre des médias n’est pas toujours joli à voir. Vraiment pas. Allumez la télé et vous n’avez qu’une envie, prendre vos jambes à votre cou et partir loin… Pour ne pas être empoisonné par cette envie, Alexandre a fermé la fenêtre. Et du coin de campagne lointain où se cache son restaurant, il ré-invente le monde. Son souhait ? Le « ré-enchanter »… Et pour cela, il s’est ouvert à un autre monde. Au monde de l’art et de l’artisanat. A bien d’autres disciplines qui l’aident à sortir des limites que l’Humain tend à se poser naturellement. Il fouine. Il fouille. Il rencontre. Il voit. Il ingurgite. Bien au delà de la gastronomie. Les yeux écarquillés, il se nourrit de ceux qui ont déjà appris à voir au-delà et à imaginer… Ceux qui, eux-mêmes dans leur domaine vont bien plus loin passant du rêve à la réalité.
Rêver… Il explique aussi que c’est là, également et probablement, l’origine de sa Grenouillère, dans le droit qu’il se donne de rêver. Cette petite phrase si destructrice « Oui mais… » n’est pas présente dans son langage. Ici, tout est « rêvable » et ensuite faisable… Même si parfois le rêve vers lequel il marche n’est finalement pas accessible, parce que ce n’est pas le moment, ou parce que ce rêve n’est pas encore traduisible ? Alors ce n’est pas grave, là encore Alexandre s’autorise. A dire qu’on va arrêter sur ce chemin, pour repartir en arrière et prendre une autre route. Parce que rien de ce qui est fait n’est perdu. On y reviendra plus tard. Ou pas. Tel un explorateur. Et parce que pour quelques chemins qui nous ont fait rêver mais qui resteront inexplorés, il y en aura un au bout duquel il sera allé… Et c’est la combinaison de tous ces rêves atteints et non-atteints, qui a donné vie à cet endroit unique.
La Grenouillère est unique… Quand je serai grande, je ferai un guide des univers tels que la Grenouillère. Combien sont-ils ?… Ce sera sans doute le plus petit guide qui existera… Combien de restaurants – peut-on encore les appeler « restaurant »… Combien de lieux imaginés et conçus par des Chefs-patrons (c’est important)… où il fait vraiment très bon manger… immergés, enracinés dans leur environnement, leur terroir, leur histoire… marqués du sceau de la sincérité et de l’humilité… Des restaurants dont vous ne sortez pas indemne parce que le Chef vous aura emmené sur un terrain culinaire que vous ne connaissiez pas et qui vous aura interpelé. Parce qu’il y aura eu ce plat au dressage ou au goût si inattendu mais qui, pourtant, résonne en vous.
Comme cette petite spatule de rhubarbe… Je ne dis pas qu’il faut être un Génie de tous les temps et que c’est là l’idée du siècle. Non, c’est juste que je n’avais jamais vu ce dressage amusant avant… Il fallait y penser tout simplement…. Garnir ce petit ustensile si commun en cuisine d’un feuille à feuille de rhubarbe confite maintenu grâce à une bavaroise rhubarbe (?… enfin je crois)… décoré de si petits dés de rhubarbe et de ce qu’il faut d’herbes pour rafraîchir… C’est même basique quelque part… La spatule est là, à portée de main de tous les Chefs… Mais il fallait imaginer, et s’autoriser, l’idée de la poser sur un feuille de papier pour la soumettre au convive qui pourra la savourer, centimètre par centimètre, jusqu’à devoir gober la spatule jusqu’à son extrémité, car il n’est pas question d’en laisser!
Et pour garder en mémoire l’amusant du support et le goût si gourmand et si familier de la rhubarbe confite, alors il faut faire comme Alexandre: il faut se fermer au monde. Se fermer à ce que nous connaissons. A la belle assiette. A la petite cuillère du dessert. Aux traditions et aux conventions… Pour pouvoir s’ouvrir au monde. D’Alexandre. Lâcher prise, lécher la spatule, et se laisser porter.
… Et prendre la mesure du travail et de l’énergie que cela demande… Si seulement plus de gens pouvaient réaliser…
Mirelha
27 août 2015 @ 12:49 am
Très joli texte et photos remarquables ! Bravo !
Stéphanie
27 août 2015 @ 7:09 am
Merci beaucoup!
Adrien
27 août 2015 @ 2:02 pm
Comme une envie d’aller me perdre a la Grenouillére, merci Stephanie.
A.
Stéphanie
27 août 2015 @ 5:15 pm
De rien 🙂 … Y’a plus qu’à ! Biz