… Aime le Fada mais pas celui que vous croyez… Alexandre Mazzia, le Ventre de l’Architecte
Quand je me suis retrouvée là-haut, sur la terrasse de la cité Le Corbusier à Marseille, déjà il s’est passé quelque chose. Je me suis évadée. Drapée dans la nuit. Dominant la ville. Je regardais les lignes parfaites et les astres en me disant que le Petit Prince pourrait descendre de son astéroïde pour venir visiter la notre. Je restais là longtemps à contempler et à immortaliser. Inspirer. Expirer. Fermer les yeux puis les ouvrir plus grands pour capter le peu de lumière et profiter des droites et des courbes que le « Fada » a dessinées… Puis se souvenir qu’il y a dans cette cité un autre Fada qui m’attends 9 étages plus bas. Alexandre Mazzia. L’Architecte Cuisinier.
C’est parce que les réseaux sociaux mettent en œuvre cet adage « Les Amis des Amis sont les Amis » que j’ai voulu aller à la rencontre de ce drôle de penseur. Sur la toile, les photos de ses assiettes m’avaient séduites. Et dans les soirées entre potes, ce que j’entendais sur lui me donnait très envie de le rencontrer. Alors profitant d’un voyage à Marseille, je me suis glissée dans le Ventre de l’Architecte.
Après ce dîner et quelques jours à y repenser, je me rends compte qu’il y a beaucoup à en dire… Tout d’abord ne pas manquer d’évoquer un parallèle certes facile et pourtant savoureux entre l’Architecte Urbaniste et l’Architecte Cuisinier. Il n’y a qu’à regarder les compositions d’Alexandre pour comprendre combien il doit les cogiter et les agencer comme d’autres designers imaginent des lieux fous et merveilleux à habiter… Puis le serveur entame sa litanie et ce sont vos oreilles qui s’affolent un peu car ici, ce n’est pas une maison de tradition mais un lieu où un artiste ose, associe, dérange, bouscule. Pas par provocation, tellement loin de là. Ni par envie de ne pas faire comme les autres. Non, Alex, c’est la passion et la curiosité qui l’anime. C’est parce qu’il a en bouche le dessin d’une combinaison précise et il cherche. Il fouille. Il expérimente jusqu’à atteindre dans l’assiette la projection de ce dessin. Ainsi, il emmène sa clientèle en dehors des sentiers battus pour aller découvrir des paysages inattendus et envoutants. Et puis Alex, il est jeune, en tous cas pas encore assez vieux pour choisir les accords faciles et les assaisonnements déjà trop vus. Il prend des risques. D’autant plus qu’il n’est pas chez lui et n’évolue pas dans un milieu habitué à ce type de sortie de route… Marseille marquée par le sceau de la bouillabaisse et de l’aïoli, on peut y avoir quelques difficultés à se laisser aller sous l’effet choc d’un maquereau brûlé au satey servi sur un lit de tapioca relevé. Mais moi – et même « nous » car nous étions 8 ! – nous nous sommes totalement laissés guider dans cette balade en terres gustatives inconnues. Et il nous a enchantés. Je ne dirais pas que tout fut 20/20 à mon goût. Parce que je crois que mes années au pays breton me font trop aimer la fleur de sel et que certaines épices sont vite très imposantes pour moi. Mais je suis repartie heureuse, car des assiettes laisseront des souvenirs indélébiles et parce que ce jeune fada de la gastronomie marseillaise s’est livré, aussi attachant que ce que je m’étais imaginé.
Carrelet en sashimi, saké, yuzu, poire, bacon et chocolat blanc.
Et encore cette pensée, « tellement dans si petit »
Huitre Gillardeau 1, épices, passion et daikon
Pourtant je ne suis pas dingue du fruit de la passion. Mais là, je suis bien.
Et très bien aussi en savourant un petit verre de Lait fumé au tobicco (photo manquante).
Dis, Alex, le lait fumé au tobicco, tu l’as pensé exprès pour moi non ? 😉
« Biscotte végétale »
Pain aux noix, pain aux céréales, des agrumes, du fromage frais
de gastronome en culotte courte, des épices et des herbes…
Et en tête le souvenir d’un petit dwich donnant des impressions de très bon couscous.
Tourteau, daikon et pavot, jus gras de cochon et citron vert
A déguster en alternance avec…
… pommade au raifort, eau de pomme verte, micro-tartare de concombre, « sang » de betterave, huile de coriandre
qu’il faut secouer un peu pour que le rouge de la betterave se révèle.
Noix de Saint-Jacques, miso de coquilles d’huîtres, ananas et lait de poule, mouron
Et comme vous êtes intrigués, vous demandez à Alex de vous raconter l’histoire
du miso de coquille d’huître… Et je ne vous révélerai rien si ce n’est que juste
pour cet élément, il y a des longs moments de réflexion et de travail.
Aussi bon qu’impressionnant.
Palourdes, sucs de volaille grillée, main de Bouddha, courge et sésame
Sorbet wasabi
Ouiiiiiiii
Maquereau brûlé, poudre satey maison, tapioca en jus corsé de volaille
Puis Alex vous explique ce qu’il a voulu raconter. Ses années au Congo
et les souvenirs de boucané. Les odeurs des rues de là-bas.
(Ca me rappelle un autre Alex…)
Puis il vous dit aussi qu’il a souhaité faire vibrer les souvenirs de barbecue
que nous avons tous. C’est gagné ! En deux bouchées, il transporte
la tablée autour d’un grand feu amical sur lequel chacun grille son
maquereau. Nous sommes là et loin.
Couteau, crevettes grises, sans dessus-dessous d’une fine raviole, jus vert-animal, et salicornes
Pistache dans une pâte douce, hélianti, grenade et parmesan
Intermède. Comme un pré-sucré.
Langoustine, manioc, condiment aux dattes et pâquerette
Là encore un hit.
Pour les yeux, un marbré de roses orangés sur le noir intense de l’assiette.
Pour le palais, non pas que ça chatouille des souvenirs ou
des tocs alimentaires mais simplement parce que la langoustine
moelleuse enveloppée dans les arômes sucrés, c’est délicieux.
Cochon de lait, sardine en tempura, vodka, sorbet safran
Et des taches de goût à combiner ou à manger isolées.
Car chacune est bonne et que le tout est bon.
Foie, foie gras et hareng
A la première bouchée, j’ai été projeté dans l’immense plaisir que me
procure à chaque fois le trio « anguille fumée-foie gras-sésame » de David
Toutain. Fou. Ce fut instantané. Comme un plat frère. Une belle
Famille. Inutile d’en dire plus.
Pigeon, panais, clémentine, chocolat noir, framboise-harissa
Champignons de Paris, café, patate douce
Avocat, poussière de betterave fumée, sorbet à la fleur de sureau,
tuile de chocolat blanc-graines de moutarde-cumin
Mon chouchou. Mon favori. De ces desserts où vous construisez avec précision
chaque cuillerée pour qu’elle porte un peu de fleur, un peu de végétal, le
croustillant du crumble et l’épicé de la tuile… Et à chaque bouchée recommencer.
Jaune d’oeuf, câpres, yuzu
Quand je dis qu’il ose…
Goyave, citron, gingembre
Et Alex qui a failli ne pas nous le servir!
De sa cuisine, ce Fada de la gastronomie a profité de nos rires et de nos commentaires. Quand une tablée passe quelques heures à alterner des silences révélateurs de gourmandise et des éclats de voix joyeux, c’est que le dîner se déroule bien. Et vous pouvez dire ce que vous voulez, si le contenu des assiettes n’est pas là, cet état de bien-être n’est pas atteint… Alexandre, je reviendrai. Mieux connaître et comprendre. Echanger encore et toujours. Passer quelques heures en cuisine. Et profiter encore de ce point de vue unique sur la ville.
Le Ventre de l’Architecte
Toutes les photos de ce dîner un peu fou sur Facebook
Janina Piszczatowski
12 avril 2018 @ 10:10 pm
bravo pour pour cet article plein d infos intéressantes !