… Aime boucler la boucle – Abattage à la ferme et résilience alimentaire territoriale
Août 2020. Je vous parlais des premiers pas du projet Aalvie, consistant à mettre en place l’abattage à la ferme.
Pour mémoire et pour faire simple : dans le système actuel, les animaux sont séparés de leur troupeau, transportés sur des centaines de kilomètres dans des camions et dans des conditions déplorables. Amenés dans des abattoirs énormes et opaques, ils y sont étourdis, saignés et découpés avec tous les risques que cela comporte dans la mesure où l’éleveur n’a plus l’oeil sur ses bêtes (risque de maltraitance de l’animal, risque de perte de traçabilité de la viande, etc.). Dans le système rêvé par Aalvie, l’animal, serein, est étourdi et saigné à la ferme, sous l’oeil bienveillant de son éleveur, puis sa carcasse est transportée sur une courte distance, jusqu’à un abattoir local où elle pourra être découpée dans un souci d’amélioration de la traçabilité.
J’avais participé au financement participatif mais de loin. Ayant adopté un régime végétarien, je me sentais compatissante mais peu impliquée. Mon engagement à moi est porté sur la résilience alimentaire locale, mais pas sur ces questions d’abattage. C’était ne pas avoir pris la mesure des effets papillon de ce projet !
Benoît Rolland – Eleveur à la ferme des 9 journaux
En remerciements du financement participatif, Aalvie a invité les gentils donateurs à venir rencontrer quelques éleveurs du projet, au coeur de leur ferme. Je suis allée visiter la ferme des 9 journaux, située à Bouguenais (Sud de Nantes). J’y ai fait la connaissance de Benoit, éleveur, et de Ghylain Pageot, président de l’association Aalvie et, également, éleveur à Bourgneuf-en-retz. J’en suis repartie enrichie par les échanges et enchantée par le projet et par tout ce qu’il implique !😃
Guylain Pageot – Président d’Aalvie et éleveur à la ferme du Marais Champs (Bourgneuf-en-retz)
Souvenez-vous, les gougères de l’Anfrenière à la tomme du Marais!
La ferme des 9 journaux
La génèse de cette ferme est déjà une belle histoire.
En 1950, le territoire de Bouguenais comptait 150 fermes. En 2020, il n’en compte plus que… 10! Nous sommes aux portes de Nantes, la pression immobilière gagne les terrains et l’artificialisation des sols bat son plein. C’est en 1998 que la Mairie de Bouguenais s’en inquiète et décide de racheter une ferme, de sanctuariser ses terres et de la confier à quelques éleveurs. C’est en 2008 que Benoit la reprendra (toujours en collaboration avec la commune).
En quelques données, la ferme des 9 journaux, ce sont 180 hectares de prairie dont 80 en zone humide. Le cheptel se compose de 150 vaches dont 60 vaches nantaises, cousines de notre maraichine – une vache sublime aux yeux maquillés de mascara ! La ferme est autonome en alimentation et en paillage de ses animaux (rare et remarquable). Dès que possible, ils pâturent en extérieur. Quand les sols se font trop peu herbeux ou trop « collants », les animaux entrent au sec et sont nourris au foin de la ferme. Leur alimentation est complétée par les drèches récupérées auprès d’une brasserie voisine.
100% de la viande produite à la ferme est vendue en vente directe. C’est cette vente directe qui a allumé la flamme de Benoit pour l’abattage à la ferme. En effet, les clients particuliers, soucieux du bien-être animal, et les clients professionnels (restaurateurs (*)), soucieux de la qualité de la viande, posent de nombreuses questions sur la mise à mort, le transport, le suivi… Benoit se remet en question et décide d’agir, avec d’autres.
(*) pour mémoire, dans une situation de stress au moment de la mise à mort, le corps de l’animal va sécréter de l’acide lactique qui empêche une bonne maturation de la viande, avec perte de qualité en goût et en texture.
Benoit est un passionné. Il se sent investi par une mission de préservation de la nature et de la biodiversité. Comme il le dit lui-même « c’est le sol qui guide nos pratiques« , ce sol précieux où les micro-organismes et les vers de terre sont nos alliés, sol dans lequel l’eau doit pouvoir s’infiltrer pour se purifier et nous profiter. Benoit est aussi un amoureux de ses vaches. Il connait chacune d’elles. Il y a les douces. Il y a les meneuses. Il y a aussi les peaux d’vache (expression familière qui en dit long!). Il y a surtout ces vaches auxquelles il donne naissance, auxquelles il prodigue des soins, auxquelles il parle, vaches qu’il nourrit ou qu’il caresse… jusqu’à ce moment où le système les lui enlève pour une fin de vie hors de son contrôle.
J’ai absolument adoré échanger avec Benoit. Non seulement il est passionné mais en plus il se questionne et se remet en cause. Les Vegans? Il les remercie, car ils ont imposé aux éleveurs une réflexion sur leurs pratiques et ont mis en lumière la distinction entre exploitation bovine et paysan-éleveur. Bien entendu, ce n’est pas toujours facile pour les paysans-éleveurs pris entre le feu de certains extrémistes spécistes et celui de l’industrie agro-alimentaire qui oppresse. Mais la relation directe avec des clients satisfaits et l’amour du métier apportent le mental nécessaire.
L’abattage à la ferme
C’est Guylain qui nous expose de nouveau les enjeux de l’abattage à la ferme.
Le mouvement est né de l’envie des éleveurs d’assumer la vie de leurs animaux sur tout le cycle et dans un maximum de sérénité. La mort fait partie de la vie. Comme il l’explique, il y a un contrat tacite entre l’éleveur et sa bête : « Je te donne le gîte, le couvert et un toit. Tu me donnes ton lait et ta viande.« . Ils veulent assumer ce contrat jusqu’à la fin. De plus, c’est décourageant d’investir de l’énergie dans la qualité de vie d’un animal durant plusieurs années pour voir celui-ci transbahuté dans un camion sur de longues distances et tué dans des conditions parfois atroces, pratiques réduisant à néant les efforts de l’éleveur. Sans oublier d’évoquer le problème de traçabilité ! Les petits abattoirs locaux ferment les uns après les autres (rendant le maillage territorial trop faible) au profit de gros abattoirs centralisés qui sont de véritables boites noires. Impossible de savoir ce qui se passe dedans. Résultat? Ces maltraitances que l’on dénonce, des lots de viande mélangés (avec de grosse perte financière pour l’éleveur!) et le personnel des dits-abattoirs en dépression de part leurs conditions de travail.
Abattre à la ferme, c’est :
- donner à l’éleveur la responsabilité de ses animaux sur tout le cycle de vie dont la mort,
- assurer une sérénité maximum à l’animal jusqu’à sa perte de conscience,
- améliorer la qualité de la viande,
- assurer une traçabilité intégrale aux produits,
- faire un pied d’nez à l’agro-industrie et favoriser la vente directe,
- améliorer les conditions de travail des employés des abattoirs en instaurant une relation réelle et de confiance entre eux et les éleveurs,
et encore d’autres effets collatéraux très bénéfiques pour tous, animaux, éleveurs et consommateurs.
Et la résilience alimentaire territorial dans tout ça?
Comme indiqué en préambule, je regardais Aalvie de loin, en amie concernée mais pas impliquée, parce que mon petit combat à moi, c’est la résilience alimentaire territoriale. C’était sans compter sur un détail technique majeur porté à ma connaissance par Guylain et Benoit.
Le projet d’Aalvie consiste à étourdir et saigner l’animal sur la ferme, proche de son troupeau et sur son lieu de vie. Puis la carcasse est transportée à l’abattoir pour découpe. Sauf que!!! … Sauf que les services sanitaires n’aiment pas trop voir les carcasses sur les routes pendant des heures. Il faut donc, et c’est là que les Athéniens s’atteignirent!, que le trajet entre la ferme et l’abattoir soit minime. Il faut donc ré-implanter des petits abattoirs à taille humaine un peu partout autour de nous! Il faut re-localiser, décentraliser, territorialiser!! Oui, c’est là que mes yeux se sont éclairés! Le projet d’abattage à la ferme est un projet de territoire, ancré dans la philosophie du circuit-court et du locavorisme. Il est créateur de résilience alimentaire comme d’emploi dans les petites communes.
Vous savez maintenant pourquoi je suis repartie enchantée et boostée après cette visite. Elle a combiné tout ce que j’aime ! Des rencontres avec des gens passionnés et engagés pour la préservation de la biodiversité, des échanges enrichissants avec des interlocuteurs qui se sont questionnés et qui sont ouverts au débat, et l’alignement avec ce socle que forment aujourd’hui mes valeurs choisies « circuit-court / locavorisme / fait-maison / respectueux du vivant ».
Et maintenant?
Le projet Aalvie avance bien. Elle regroupe plus de cent fermes sur le Sud 44 et Nord 85. Le futur abattoir devrait s’installer à Machecoul (6000 habitants) et avoir un rayon d’action de 50/60 kms (1 h de trajet maximum). Les freins sanitaires sont levés et ils étaient parmi les plus drastiques. Aujourd’hui, une association loi 1901 a été créée pour impliquer les amis du projet, comme moi (comme vous?) : « Citoyens pour Aalvie« . En parallèle, toutes ces belles personnes ont créé une SCIC qui est la meilleure forme coopérative pour le financement et la gestion de l’abattoir et de ses équipements. La recherche de fonds est en cours. L’abattoir devrait voir le aux portes de notre beau marais breton vendéen.
Aalvie porte aussi la création d’un Label « Elevé et Abattu à la Ferme », visant à valoriser non seulement la démarche mais aussi la qualité du travail des éleveurs, engagés pour la préservation de la nature comme pour le bien-être de leurs animaux.
Enfin, les « Aalviens » travaille à créer un modèle non seulement rentable et à taille humaine, mais aussi duplicable sur tous les territoires et accessible à tous les animaux d’élevage quelle que soit leur taille.
La ferme des 9 journaux
A retrouver ici, sur facebook : https://www.facebook.com/lafermedes9journaux/
Et instagram : @la_ferme_des_9_journaux
Le projet Aalvie
Contact : Charline : citoyenspourlaalvie@mailo.com
Association Citoyens pour Aalvie : https://www.aalvie.com/citoyens-pour-l-aalvie
Page Facebook : https://www.facebook.com/profile.php?id=100063611201517